Люка Дебарг на обложке журнала "Cadences", майский номер.


"В пианистическом мире, богатом напористыми личностями, Люка Дебарг идет своим путем музыкальной интенсивности, которую некоторым так  трудно получить.

Встреча с музыкантом, который открыл свой "велосипед" как на сцене, так и в повседневной жизни".

Читайте в журнале на 10/11 странице - 

Lucas Debargue le trublion <<<

  


"Le premier grand fait
d’armes de Lucas Debargue se déroula en Russie, lors de l’illustre Concours Tchaïkovski en 2015 : ce ne fut pas tant son palmarès (un Quatrième Prix et un Prix de l’Association de la critique musicale de Moscou tout de même) que le crêpage de chignon au sein du jury suscité par sa prestation qui fit les délices de la presse – et d’un auditoire tout acquis à sa cause. Le décor était fixé : le jeune pianiste français démontrait son peu d’affection pour l’eau tiède, ce que confirmèrent par la suite ses concerts et ses enregistrements sous étiquette Sony Classical.

Ces derniers illustrèrent aussi une curiosité musicale fort louable, volontiers tournée vers les compositeurs mésestimés. Toutefois, pour son récital de ce mois de mai dans le cadre des concerts de Jeanine Roze au Théâtre des Champs-Élysées, Lucas Debargue aborde momentanément des rivages plus connus : « La première partie du concert est consacrée à Chopin, alors que la seconde partie s’ouvre avec Bach et se termine avec Beethoven et l’opus 111. Quand j’ai commencé à donner des concerts après le Concours Tchaïkovski, j’ai immédiatement été identifié comme un artiste aiment un répertoire moins connu, avec par exemple Medtner ou Szymanowski. Je continuerai à aborder ce type de compositeurs toute ma vie, cela est certain, mais pour la première fois, j’ai eu envie de me confronter à des grands classiques que j’ai dans les oreilles et dans les doigts depuis longtemps. Mais avec ces partitions, j’adopte la même attitude qu’avec le reste de mon répertoire : j’essaie de ne pas me soucier d’une quelconque tradition. Je travaille avec ma professeure, Rena Shereshevskaya, en qui j’ai pleinement confiance et qui vient pour sa part d’une certaine école de piano. Nous approchons ensemble une partition pour tenter d’en restituer le message le plus exhaustivement possible, avec les limites auxquelles nous nous heurterons forcément ».

Un sentiment de liberté 

Aborder la Sonate op.111 du Maître de Bonn à pas même 30 ans, c’est un peu prêter le flanc à la critique sans même que la moindre note ait résonné. Cela agace fortement Lucas Debargue : « On a tendance à réserver certaines œuvres légendaires à quelques artistes de référence qui les auraient abordées dans leur grande maturité. Or Glen Gould a donné à 25 ans une version totalement aboutie des Variations Goldberg, bien sûr très différente de ce qu’il propose plus tard. Beaucoup de jeunes artistes livrent des interprétations très achevées de grandes œuvres du répertoire, je ne pense pas que ce soit une question d’âge : je suis convaincu qu’il est nécessaire de cultiver ce type de partitions avec régularité, pour pouvoir ensuite les garder toute sa vie auprès de soi ». Le lecteur aura remarqué que Lucas Debargue ne manie guère la langue de bois et «  dit les choses », sans prétention mais avec une énergie patente. Sa franchise concerne d’abord sa propre carrière de pianiste. Ainsi, il reconnaît sans fard avoir rencontré une certaine difficulté à canaliser un talent volcanique : « À l’âge de dix ans, je suis tombé sur un enregistrement du Concerto n° 21 de Mozart et cela fut un choc : j’ai eu le sentiment d’entendre une langue que je connaissais déjà, et ce sentiment a été immédiatement associé à la liberté. Il a été ensuite très difficile – et même inacceptable – pour moi d’envisager un quelconque travail ou entraînement. À mes yeux, les grands musiciens, aussi bien les compositeurs que les grands interprètes, étaient des dieux, ils étaient nés comme cela, avec leurs gestes déjà parfaits. J’avoue que je n’avais personne autour de moi pour me dire le contraire, parce que personne ne connaissait vraiment le fonctionnement d’une carrière classique. J’avais besoin de quelqu’un d’aussi passionné et fantasque que moi dans la relation avec la musique pour me « recadrer ». En 2011, j’ai fait la rencontre de ma professeure actuelle, Rena, et je suis tombé sur une personnalité dont la vie était musique. Quand Rena est dans la musique, elle n’accepte aucun compromis. Il a fallu cela pour vraiment me convaincre et dès 2012, nous avons préparé ensemble un programme de concours ».

Laisser la partition respirer

On devine que le travail mené ensemble par ces deux personnalités bien trempées ne ressembla guère un long fleuve tranquille : « Tout n’a pas été facile au début, car mon esprit allait systématiquement dans une autre direction, presque par souci de préserver une certaine indépendance. Je ne voyais tout simplement pas l’intérêt de respecter à la lettre ce qu’elle me demandait. Rena prend une partition, qui change d’une semaine à l’autre, elle inscrit une date et elle demande qu’on fasse certaines choses pour le cours suivant. Si ces choses n’ont pas été faites, elle se met en colère et il faut recommencer. Si en revanche le travail a été fait, elle redonne une série d’indications avec la date du jour pour aller encore plus loin. Et tout à la fin, quand arrive le concert ou l’examen, elle dit : maintenant, tu fais ce que tu veux car tu as suffisamment d’options pour être libre. Et j’ai fini par comprendre cette méthode tellement forte, tellement sensée ».

L’enseignement de cette pédagogue de légende dépasse donc largement la simple pratique digitale : « J’ai réalisé que, dans la préparation, le moi, l’expression personnelle, ne comptaient pas. Il ne faut pas y penser. En revanche, au moment du concert, il faut être suffisamment libre pour aller là où la musique nous emmène. Une partition est comme un texte de théâtre à apprendre. Il faut la connaître dans ses moindres recoins, pour ensuite vivre avec elle et la laisser respirer. De ce fait, quand on dit ou écrit que j’ai une interprétation très personnelle, ou même que j’en fais trop, cela n’est pas vrai car ce n’est pas moi que j’écoute en concert, j’essaie de coller au message musical, avec mes moyens à moi, qui ne sont pas les mêmes que ceux d’autres pianistes ».

On ne peut que lui souhaiter de conserver, tout au long d’une carrière qui s’annonce – qui est déjà – spectaculaire, cette sincérité à fleur de peau qui, certes, peut surprendre mais fait précisément le prix de ses interprétations, à une époque où l’on déplore fréquemment une « standardisation » artistique dommageable. © Yann Orhan_Sony Classical • Yutha Tep

du tac au tac 

Votre bruit préféré ? Celui d’une source d’eau naturelle. 

Compositeur favori ? Domenico Scarlatti, si l’on parle de la musique pour clavier. 

L’œuvre que vous auriez voulu créer ? La Symphonie n° 8 de Bruckner. Pour moi, Bruckner est le plus grand symphoniste de l’histoire. 

Le compositeur que vous estimez incompris ou mésestimé ? Scarlatti de nouveau. Mais aussi Stéphane Delplace, parmi les compositeurs vivants. 

Le livre qui a été important pour vous ? Peut-être Crime et Châtiment, ou Les Frères Karamazov. 

Le métier que vous auriez fait si vous n’aviez pas été musicien ? Enseignant, parce que la transmission est importante pour moi. 

Réincarnation ? Un grand arbre centenaire, pour voir les choses avec une autre temporalité.